Comment le cigare est-il représenté au cinéma?

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Comment le cigare est-il représenté au cinéma?

Le concept de l’inconscient collectif fut originellement décrit par le psychanalyste Carl Jung. Invoquant ce que l’on désigne parfois comme « esprit commun », la notion décrit un phénomène conformément  auquel un segment constitutif et essentiel de l’inconscient humain serait le fruit d’un héritage (épi)génétique.* Ainsi, cette marque(mémoire) est gravée dans l’inconscient de chacun, incluant l’influence de paramètres à la fois ethniques, anthropologiques et sociaux. Jung intègre et souligne dans ses réflexions le rôle et les enjeux symboliques de pratiques spirituelles, artistiques et sociales, sans omettre les comportements sexuels et les pulsions de vie et de mort.

Si vous avez pris le temps de lire ces quelques lignes et peut-être (sûrement) vous interrogez-vous quelque peu… Quel est le lien avec le cigare au cinéma (en effet, le titre de cet article vous aura certainement permis de comprendre de quel sujet nous traitons). Toutefois, quelle est la nature de cette digression psychanalytique ?

Fermez les yeux. Que vous soyez en train de lire cet article entre deux créneaux au travail, confortablement installés sur un sofa ou en transition assis sur ce siège dans un train, prenez le temps d’imaginer un instant, un cigare à la fois en tant que concept et en tant qu’objet. Dans un second temps, laissez-vous emporter. Très éventuellement, votre imagination cherchera à mettre ce cigare en scène. Peut-être se manifeste désormais dans votre esprit, un lieu ou un contexte… Une ambiance, des sensations, des odeurs… Il se peut que vous parveniez à perfectionner le décor qui se met en place autour de cet objet dans votre imaginaire. Le metteur en scène au fond de vous, peut-être sera-t-il susceptible d’entrevoir ou de construire un personnage… Qui est-il ? Comment se comporte-t-il ? Quelles sont ses valeurs ? Plus vulgairement, « Qu’est-ce qu’il/elle dégage » ? Est-ce un homme ? Est-ce une femme ? À quelle classe sociale vous l’imaginez-vous appartenir ? Possède-t-il d’autres accessoires ? Peut-être un style vestimentaire particulier ? Une gestuelle singulière ? Fermez les yeux et imaginez…

Quelconque soit l’image que votre cerveau s’est aventuré à construire durant ces quelques évocations, chacune de ces représentations intérieures seraient (selon les préceptes de Jung), dans une certaine mesure, le fruit d’une reconstruction mnésique, profondément ancrée dans votre subconscient. Et oui, le fumeur de cigare n’échappe pas au phénomène. Ainsi, l’ensemble des caractéristiques selon lesquelles vous parvenez à visualiser votre image du fumeur de cigare sont la conséquence d’une inscription par la mémoire de cette image à un temps « t ». Figurez-vous, le cinéma en tant qu’art, permet aux êtres-humains de saisir de façon démocratisée, des symboles visuels qui s’inscrivent par la suite dans ce fameux “Inconscient Collectif”. C’est là que je choisis d’évoquer le sujet tant attendu ; comment le cigare est-il représenté au cinéma ? Pour quelle·s raison·s fait-on le choix de l’invoquer lors d’une mise en scène spécifique ? Que cela indique-t-il sur le personnage auquel il est associé ?

En général, l’usage de cet accessoire comme symbole porte à manifester un statut, un pouvoir, un charisme et succinctement la richesse de celui qui le fume. Consommer le cigare s’est petit à petit inscrit comme une forme de hobby de niche, A l’heure d’aujourd’hui, le cigare est, une pratique appartenant à quelques “énergumènes” attachés à des valeurs ancestrales. L’on peut s’interroger, comment s’est construite cette image du fumeur de cigare dans l’inconscient collectif. Quelque part, le cigare semble évoquer « l’ancien monde ». Un monde capitaliste dominé par des hommes. Toutefois, il est curieux de s’aventurer dans ce qui compose l’adepte du cigare au cinéma. Nous sommes forcés de constater que l’essentiel de ces représentations sont effectivement masculines. Malgré tout, il s’agit d’un outil dramatique particulièrement utile, accompagnant le jeu d’acteur, tout en menant le spectateur à être imprégné par l’imaginaire que cela lui procure. Nous avons pris le temps de réunir pour vous, une sélection de scènes emblématiques, lorsque l’on traite du cigare au cinéma.

Commençons notre petit parcours à travers l’histoire du cinéma au début du siècle passé :

Charlie Chaplin dans Les lumières de la ville (Chaplin, 1931)

Dans une certaine mesure, on peut considérer que le début du siècle était l’âge d’or pour le cigare au cinéma. En effet, à cette époque, les plateaux n’étaient pas encore devenus non fumeurs. Lorsque Charlie Chaplin incarne le personnage de Charlot, ce clochard qui, à bien des égards avec son chapeau et sa canne marqua l’histoire du cinéma dans son rôle portant sur une puissante catharsis humorale. Le personnage qui attendrit la communauté internationale avec son charme maladroit dans des récits dont le manichéisme est à mettre en évidence. Effectivement, dans ses films, le bien et le mal se distingue de façon quasi binaire. Impossible de ne pas se prendre d’affection pour son chapeau melon, sa canne et son costume aux dimensions peu adaptées. Le cigare à cette époque, était symbolique d’usage pour l’incarnation de personnages de haute société, accessoire idéal pour refléter la figure caricaturale du dandy* au nanti. Dans « City Lights » (Les lumières de la Ville) paru en 1931, le personnage de Charlot, tombe fou amoureux d’une fille aveugle à qui il souhaite rendre la vue. Il développe une amitié insolite avec un riche millionnaire peu maniéré qui, bien évidemment, fume le cigare. Dans cette scène, nous voyons l’attitude quelque peu grossière de ce personnage qui emmène Charlot dans un restaurant de haut standing. Ce dernier offre un cigare à Charlot qui ne manque pas de maladresse jusqu’à accidentellement jeter ce dernier sous le fessier d’une dame, menant la scène à s’engouffrer petit à petit dans un enchaînement d’incidents magistralement caricaturaux. Dans une autre scène, Lorsque le personnage de Charlot voit des hommes de la haute société marchant le long des trottoirs fumant leur cigare, on aperçoit  une tentative légèrement veine de rehausser son statut, il se presse et s’empare d’un mégot de cigare avant qu’un autre clochard se précipite dans l’objectif d’en faire de même. On comprend donc que cet accessoire fait démonstration de la dichotomie entre les classes sociales, le miséreux voué à se soumettre au plus riche, quelconque soit le degré d’absurdité, comme si le déchet pouvait devenir richesse de l’autre.

*dandy, nom masculin

Pluriel
dandies ou dandys.
Sens 1
Homme élégant qui soigne son apparence, ses manières et qui et qui a de l’esprit.(déf. Selon le dictionnaire “l’internaute”; https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/dandy/) 
 

Pinocchio (Walt Disney, 1940) 

Et oui, figurez-vous qu’il existe une multitude de scènes dans lesquelles les personnages de Walt-Disney apparaissent avec les attributs du fumeur. Bien souvent, cette image est utilisée pour représenter une forme d’antagonisme du personnage « maléfique ». Bien que  Par exemple le personnage de Cruella d’enfer qui fume des cigarettes à la chaîne. Le capitaine crochet détient un accessoire unique, semblable à un chandelier qui lui permet de fumer deux cigares en même temps. Lorsque Pinocchio arrive sur l’île aux plaisirs, il y’ a cette fameuse scène dans laquelle il tente de fumer le cigare et en tombe malade. La tentation est un thème essentiel dans ce film dans lequel le personnage de Pinocchio est constamment éloigné du droit chemin ; aller à l’école comme un vrai petit garçon. Ce qu’il y a de particulièrement intéressant à souligner, c’est que le film de Pinocchio en lui-même est dominé par des personnages masculins. Ainsi, la plupart des rencontres que fait le garçon pantin sont des hommes. Probablement ceci se réfère au climat poste-guerre dans lequel l’histoire originale avait été rédigé. D’ailleurs la plupart des personnages du film fument de façon chronique. Ceci nous rappelant qu’originellement, le fait de fumer était très représenté dans les films datant des années trente. Il s’agissait d’un accessoire idéal pour représenter la sophistication et les rapports de séduction dans les films noirs. On ne peut pas dire que les personnages du film Pinocchio se rapprochent d’une quelconque forme de raffinement. Une fois de plus, ce sont les personnages mal influents du film qui fume. Ceci s’opposant donc aux représentations “sophistiquées” de cet attribut.  

 

Le Bon la brute et le Truand (Sergio Leone, 1966)

Dans « Le bon, la brute et le Truand » de son titre original « The good, the bad and the ugly » de Sergio Leone, grand classique du film de genre western au cinématous les personnages fument le cigare, le plus emblématique étant bien évidemment incarné par Clint Eastwood qui y joue l’homme sans nomEn effet, le nom de ce personnage n’est jamais prononcé tout au long du film qui se déroule durant la guerre de sécession. Un chasseur de prime incarné par Clint Eastwood est soumis à une quantité d’action et de péripéties dans une trilogie de films nommées dollars. Clint Eastwood n’a jamais été fumeur, mais “l’homme sans nom” détient un péché mignon singulier pour les cigares shorts et bons marchés, très certainement quelque chose que personne ne s’aventurerait à fumer aujourd’hui, mais le choix idéal pour un héro de western aussi iconique. À cette époque, Clint Eastwood s’est inscrit comme une forme d’archétype autour de la symbolique du cigare au fil des années, le barreau de chaise étant accessoirisé dans un bon nombre de ses films. Malgré cela, Eastwood lui-même ne fume pas, gardant les cigares pour l’écran uniquement. Dans la trilogie “Dollars”, le cigare qu’Eastwood fumait dans les films est soumis à différentes spéculations, ainsi il n’a pas été identifié. Néanmoins, Sergi Leone étant italien d’origine, certains ont supposé que les cigares étaient des Toscans, bien que Clint lui-même affirme qu’il s’agissait de cigares américains appelés “Virginiens”. Sachant qu’Eastwood n’était pas un fumeur lui-même, le cigare est rarement allumé dans les films, mais simplement tenu entre les dents. Lorsqu’il est allumé, c’est à des fins dramatiques claires, comme dans la fameuse scène (5:20 minutes dans la vidéo ci-dessous) dans laquelle Clint partage son cigare avec un soldat qui est sur le point de décéder, ceci évoque un geste singulier communément décrit lorsque durant la première guerre mondiale, les soldats prenaient des pauses dans les tranchées pour partager une cigarette, le temps d’inhaler la fumée quelques instants. Dans les années 60, les cigares faits à la machine étaient démocratisés aux états-unis.

 

Al Pacino dans Scarface (Brian de Palma, 1983)

Lorsqu’on prend en considération la symbolique du pouvoir qui se matérialise dans le cigare comme accessoire au cinéma, Toni Montana incarne l’archétype de cette représentation. Le caractère trempé, dangereux gangster et grand amateur, l’interprétation d’Al Pacino du tristement célèbre Tony Montana dans le film Scarface de 1983 a été adulé par le public et les critiques, et est devenue un classique du genre depuis plus de quatre décennies. Le film décrit l’ascension fulgurante d’un immigrant cubain à Miami qui se fraye un chemin dans le monde du crime et de la drogue. Il devient le “caïd”, avant de succomber à son propre ego et à son comportement “borderline”. Phénomène du grand écran, le dernier film Scarface fait l’objet d’une analyse approfondie de sa création, de ses influences sur la culture pop et de son lien étroit avec le monde des cigares cubains. Le charisme inégalable, Les dialogues endiablés et explosifs, le cigare se transformant en une extension de lui-même et de sa personnalité. Ce sont les traits caractéristiques d’Al Pacino, acteur légendaire qui restera à jamais vénéré pour ses rôles effervescents et nuancés. En dehors de l’écran, sa passion pour les cigares cubains est tout aussi légendaire et réelle. Il s’agit donc dans Scarface, très certainement des mises en scènes les plus emblématiques lorsque l’on pense au cigare au cinéma. Impossible de détacher le personnage de Toni Montana de l’objet du cigare. Scarface reste un symbole du genre cinématographique “mafieux”, adoré par les critiques et les cinéphiles. Les dortoirs des universités arborent encore les affiches emblématiques du film, dans lesquelles Al Pacino incarne Tony Montana.

 

 

Arnold Schwarzenegger dans Predator (John Mc Tieman, 1987)

Bien souvent, lorsque l’on évoque le cigare au cinéma, les aficionados pensent à Arnold Schwarzenegger. Peut-être est-ce justement, car ce dernier est lui-même un amateur affranchi. En effet, Arnold Schwarzenegger peut être unanimement qualifié comme l’acteur aficionado le plus iconique de notre époque. Nombreux de ses films instrumentalisent le cigare, bien souvent en cohésion avec les valeurs du personnage qui sont transmises à travers le geste singulier du fumeur. C’est curieux de songer que la plupart des films qui valorisent le cigare sont des films d’action. Il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi ce phénomène est omniprésent. Assurément, le cigare devient un symbole de “Masculinité” dans ses attributs presque parodiques. Force et pouvoir, sont les mots d’ordres pour les fumeurs dans ce genre de film précis. Finalement, on comprend qu’après l’image de noblesses projetée au début du siècle, se transforme en attributs de force et de puissance par la suite. Les cigares favoris d’Arnold sont les Cohiba et les Punchs, vous l’aurez deviné, ses préférences l’orientent vers des cigares cubains.

Le film suit une équipe des forces spéciales, dirigée par le personnage d’Arnold, qui a été envoyée dans une jungle d’Amérique centrale pour sauver des otages. Les choses ne se passent pas comme prévu et l’équipe est prise en chasse par une espèce extraterrestre avancée. Précédemment au déroulement du drame, on voit Arnold savourer un cigare juste avant de quitter l’hélicoptère militaire.

 

 

Piers Brosnan dans “Meurs un autre jour” (Die another day, Lee Tamahori 2002) 

La scène d’ouverture de “Dianother day (mourir un autre jour) marqua les esprits des amateurs du cigare. En effet, la scène se déroulant à Cuba, il était impossible de ne pas intégrer l’imagerie symbolique “cigarantesque” à la mise en scène du film.  Dans ce dernier film mettant en vedette l’acteur emblématique de Bond, Pierce Brosnan. Dans la scène en question, Bond se rend dans une manufacture de cigare dans laquelle il doit rencontrer un agent double. Arrivé à l’usine, il demande des “Delectados”, qui, à l’époque du film, n’étaient pas un type de cigare, mais un mot de code pour l’agent qui dort. Peu après la sortie du film, de nombreux cigarettiers ont commencé à produire des cigares Delectado (le cigare de James Bond !). On y aperçoit les torcedores* qui roulent le cigare pendant qu’un homme lit le journal aux travailleurs, une pratique qui serait encore d’actualité aujourd’hui dans les manufactures cubaines de cigare. Bien sûr, il serait maladroit d’évoquer cette scène spécifique, sans se référencer aux précédents films de l’agent 007 dans lesquels on retrouve nos cigares tant aimés.

Il existe d’ailleurs une légende selon laquelle que Roger Moore qui succédait à Sean Connery dans l’incarnation de Bond aurait inclu une clause dans son contrat selon laquelle durant le temps de son engagement, il devait être fourni en cigare Montecristo, et ce, de façon illimitée. Bien que Moore appréciait le cigare, c’était aussi un fin adepte de la pipe. Toutefois, l’association du “gentlemen” style représenté dans la figure de James Bond avec le cigare va quasiment de soi, à l’époque où sont créés les premiers films. Bien sûr, Daniel Craig, lui ne fume plus le cigare… (Ne vous inquiétez pas, ce dernier bois désormais des heineken sans alcools)… Placement de produit oblige, à quand la vapote ? Les représentations associées au tabac ne sont plus d’usage dans les incarnations de notre temps et ceci est fortement lié aux législations internationales quant à la promotion et à la commercialisation de l’ensemble des produits dérivés de la plante.

*Torcedor : personne qui roule des cigares.

Étymologie :

De l’espagnol torcedor (« rouleur ») ou du portugais torcedor (« supporter »). (Déf. wikitionnaire; https://fr.wiktionary.org/wiki/torcedor#:~:text=Personne%20qui%20roule%20des%20cigares)

 

 

Il existe bien évidemment d’autres films que l’on pourrait évoquer dans l’imagerie qui s’est construite au fil du temps autour du “Barreau de chaise” au cinéma, puis dans notre inconscient. Il serait malhabile de renier le caractère de nos expériences empiriques personnelles qui visent à développer le profil type que notre esprit construit lorsqu’on songe au fumeur de cigare. L’image mentale que nous esquissons est conforme à la fois à des principes sociétaux, à la fois à des principes de mémoires personnelles. Comme nous l’avons toutefois remarqué dans cette petite sélection, les mises en scène cinématographiques du genre semblent essentiellement se manifester dans une forme parfois caricaturale “masculiniste” et souvent évocatrice d’un statut social supérieur. Aujourd’hui pourtant, l’aficionado se considère aisément comme quelqu’un de profondément passionné, appréciant le caractère méditatif et poétique qu’il exalte dans la forme de “savoir être” que cela lui inspire. L’on peut sans autre se questionner sur le destin future de ces représentations sur nos grands et petits écrans. De par par sa marginalisation hors des canaux conventionnels du marché “mainstream”, le cigare n’est plus aussi facilement représenté au cinéma. Cela étant, il devient un marqueur d’autant plus évocateur lorsque il est exploité à des fins artistiques. Un élément distinctif fort, permettant une construction complexe de la psyché de l’individu qui le possède(rait). C’est pourquoi l’on peut affirmer avec confiance que ce symbole a garantit sa pérennité dans le rôle cinématographique déterminant dont il jouit. Le cigare peut alors se considérer simultanément de façon anachronique, anticonformiste et subversif. Qui sait? Peut-être auront nous la chance de voir, prochainement, des actrices s’affirmer dans des rôles féminins de films ou de séries, faisant usage, sans pudeur, de notre accessoire favori; le cigare.

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