Alexis Aazam Zanganeh est depuis plus de 20 ans une figure centrale du commerce spécialisé de tabac en Suisse romande. Selon le propriétaire de la première La Casa del Habano de Suisse romande, le marché des cigares cubains, mais aussi non cubains, va devenir très intéressant dans un avenir proche.
En quoi consiste pour vous l’attrait d’un cigare ?
Alexis Aazam Zanganeh : L’idée qu’une série de personnes aient fabriqué ce cigare à la main et à des milliers de kilomètres de là, d’une manière traditionnelle qui n’a pas changé depuis 100 ans, me plaît. C’est aussi parce que je suis une personne très traditionnelle. Les cigares sont absolument anachroniques. Ils sont en dehors du rythme que le monde, le business, nous impose. J’aime allumer un longfiller, prendre le temps de réfléchir et d’observer. Le cigare nous permet de sortir de la roue du hamster et d’observer la situation de l’extérieur. Mais en même temps, il permet d’entrer en contact avec d’autres personnes. Il a quelque chose de fédérateur.
Avant de reprendre l’entreprise familiale il y a plus de 20 ans, vous aviez travaillé comme psychologue. Vos études vous ont-elles aidé d’une manière ou d’une autre dans le commerce des cigares ?
Au début, cela m’a même plutôt gêné, pour être honnête. J’étais trop empathique. Dans le monde des affaires, il faut aussi savoir être dur, juste, mais strict. J’ai ensuite appris assez rapidement. Et avec le temps, c’est devenu un avantage, car cela m’a permis de développer une vision globale et aussi humaine. Parfois, quand on veut construire une relation avec quelqu’un, il faut aussi savoir prendre du recul, attendre. Les connaissances en psychologie me permettent d’être à l’écoute des gens et de prendre les bonnes décisions.
Comment décririez-vous le marché romand des cigares haut de gamme ?
Dans le commerce des cigares, les relations humaines sont très importantes. Le marché en Suisse romande est compétitif et chaotique. Il y a beaucoup de petits acteurs qui vendent des cigares. C’est une bonne chose pour la diversité. Mais il n’y a pas assez de place pour tout le monde, certains disparaissent car ils n’ont pas les moyens financier de faire un pas de plus. Le ticket d’entrée est élevé, il l’est encore plus aujourd’hui. Le métier lié au cigare ne permet plus de l’approximation ou du travail en dilettante. Les petites structures ne tiendrons pas à mon avis, ou au mieux elles resterons au niveaux ou elles se trouvent. Une entreprise qui n’a pas de vision à moyen et long terme, particulièrement en ces temps compliqués à peu de chance de survie selon moi.
Où en est votre entreprise Cigarpassion aujourd’hui ?
D’une affaire familiale avec deux ou trois employés, nous sommes devenus une entreprise de plus de 25 personnes. Actifs dans la fabrication, le trading, le commerce de gros, nous importons et distribuons différentes marques et nous avons importé des marques comme Arturo Fuente, Ashton ou Padrón. Nous avons nos propres marques comme Calibre ou La Couronne Selección Privada et Gran Reserva, que nous faisons fabriquer en République dominicaine. Depuis 2008, nous avons fortement développé le commerce en ligne. Et depuis un an, nous avons également une La Casa del Habano à Nyon, en plus de notre magasin habituel. Notre concept n’existe nul part ailleurs ! C’est vraiment incroyable. Les clients sont ravis et viennent de très loin pour nous rendre visite.
Depuis combien de temps travaillez-vous à l’ouverture d’une telle maison ?
Dans ma tête, l’idée existe depuis 20 ans. C’était le rêve de mes parents. Et maintenant le rêve s’est concrétisé. C’est une étape extrêmement importante pour nous. La couronne est enfin complète. Je suis fier de faire partie de l’excellence et du prestigieux avenir des cigares cubains.
En peu de temps, le nombre de casas en Suisse est passé de trois à cinq. Le marché est-il saturé pour cela ?
Je pense que oui. Surtout si l’on considère la situation actuelle. Les disponibilités de cigares cubains sont difficiles et de nombreux changements sont à l’ordre du jour. La pandémie a aggravé les problèmes existants. Les récentes augmentations de prix pour les cigares cubain et non cubain ont changé le paysage du cigare et il va se passer beaucoup de choses dans les mois à venir. De facto, les acteurs Suisse du havane vont se concentrer et pour les maisons solides et historiques, les grandes familles Suisse du cigare cubain, connu et reconnu dans notre pays , le retour aux valeurs fondamentales s’est déjà concrétisé. Les vrais amateurs de havane, ceux qui savent reconnaitre en ce produits un objet artisanal d’exception se sont déjà rendu compte que la qualité, le service, la réputation, le sérieux, l’art de la conservation, l’expertise, bref l’histoire avec un grand H, fait partie des grandes maisons de cigares. Nous faisons partie de ces maisons familiales, traditionnelle ou le mot service à la clientèle n’est pas un argument marketing mais un savoir faire que nous cultivons depuis plus de 40 ans!
[ux_image id=”100874″ height=”150%”] [ux_image id=”100875″ height=”150%”] [ux_image id=”100867″]Qu’est-ce que cela signifie pour le marché ?
La situation actuelle est la suivante : La demande de cigares cubains est énorme. Et il n’y a pas assez de marchandises. Les prix resteront tels quels car la production ne peut pas être augmentée, la récolte de tabac 2021 n’a pas été particulièrement bonne à Cuba. Je pense que le développement va dans le même sens que pour les rares whiskies écossais ou les rares Bordeaux : les prix vont exploser. Il est intéressant de noter que les acteurs ayant basé leur modèle d’affaire dans ce qui à été commun de nommer “les discounter”, ne trouvent plus leur place dans le marché actuel! En effet comment expliquer à votre client à qui vous aviez pour habitude de proposer des rabais très conséquent que désormais ce ne sera plus plus possible! Car le motif principal de ces clients était le rabais. Nous observons avec circonspection les efforts colossaux que ces acteurs concèdent afin de modifier leur image ” discount”. Il sera intéressant de voir si le client y adhérera?
Les Habanos seront-ils à l’avenir inabordables pour le commun des mortels ?
Il y aura toujours des cigares accessibles. La gamme de produits cubain est conséquente et il existe des produits et des marques tout à fait abordable et compétitifs avec les cigares non cubain des grandes maisons. Mais la question est effectivement de savoir si la classe moyenne pourra ou voudra encore s’offrir un Cohiba à l’avenir. Il existe des produits de luxe, comme des vins d’exception, des montres d’exception, des voitures d’exception, des habits d’exception, et tout le monde ne peux pas se les offrir, c’est en cela que le luxe port en lui une part d’inaccessible. L’inflation actuelle et a venir ne va pas arranger les choses.
Il est vrai que l’importation parallèle de cigares cubains est actuellement bloquée par la situation.
Et cela ne changera pas tant que le marché sera maintenu sous contrôle par une offre trop restreinte. Je m’en réjouis bien sûr. Il n’était pas normal que nous menions en Suisse cette guerre des prix insensée, que nous vendions par exemple une caisse de Partagás avec une réduction de 30 pour cent. Ces prix ne respectaient plus le travail des cultivateurs de tabac, des rouleurs et, en fin de compte, des commerçants spécialisés. C’était une destruction de valeur immédiate et très violente. Lorsque vous vendez des discounts au lieu de faire votre métier de cigarier; de conseiller, d’écouter et de ressentir les appétences du client, de chercher à le comprendre et de se projeter avec lui dans l’aventure du produit, vous perdez l’essentiel et le client perds encore plus. Le cigare est tellement plus! Ce produits magnifique mérite mieux comme vrai ambassadeurs. Je pense que si le consommateur achète une boîte de cigares sans rabais, il respectera davantage le produit et la personne qui lui fournis le service haut de gamme qu’il est en droit d’attendre.
Le commerce suisse a également profité par le passé du fait que les cigares cubains étaient moins chers dans notre pays qu’à l’étranger. Combien de clients chinois avez-vous ?
Ce que je peux vous dire, c’est que nous avons beaucoup de clients dans le monde entier. Les Chinois, c’est sûr, sont importants, mais ce ne sont pas les plus importants. Il y a aussi le monde arabe et l’Europe bien sûr, ce sont des marchés en croissance continue. Les vrais défis sont d’autre nature et se fixe plus particulièrement vers les mouvements hygiénistes actuels et à venir.
Que signifie l’augmentation des prix pour La Casa del Habano ?
Je les considère comme une grande chance, car elles placent le cigare de La Havane au niveau où il doit être. En haut de la pyramide. Nous verrons si cela fonctionne. Je pense que oui. Les vignerons de Château Petrus ou de Cheval Blanc ne se plaignent pas non plus de pouvoir vendre leurs vins au top niveau absolu. Je suis très heureux de pouvoir gérer une La Casa del Habano, mais aussi très heureux d’avoir deux magasins spécialisés. Le marché sera très intéressant dans un avenir proche, pour les cigares cubains, mais aussi pour les cigares non cubains.
Comment êtes-vous en tant que patron ?
Chez moi, tout tourne autour de la loyauté et de l’intégrité. Nous sommes toujours une entreprise familiale. Si vous voulez du respect, vous devez le donner. C’est ce que je fais avec mes collaborateurs et collaboratrices. Quand vous avez autant de personnes que nous, il est plus difficile de créer une énergie positive. Chez nous, on ne doit pas aller travailler pour un salaire. Je ne veux pas que mes employés soient des salariés, ils doivent participer à l’entreprise, apporter leurs idées, ils ont aussi des choses à dire, des choses à améliorer. C’est important d’être à l’écoute.
Quels sont vos objectifs ?
Nous voulons consolider notre position. Devenir meilleurs dans ce que nous faisons, encore plus précis et orientés vers le consommateur. C’est aussi ce que la clientèle attend avec la hausse des prix. Cela entraînera un assainissement parmi les fournisseurs. Ceux qui ne peuvent pas offrir le service ne survivront pas. Le défi consiste à faire entrer dans le monde moderne un produit traditionnel, fabriqué à la main et dont l’histoire remonte à plusieurs siècles, sans trahir ses valeurs. Nous y sommes plutôt bien parvenus au cours des dix dernières années.
Alexis Aazam Zanganeh est né en Iran en 1971. En 1974, sa famille s’installe en Suisse et fonde des bureaux de tabac à Genève et à Nyon. Aazam a étudié la psychologie à Genève, mais travaillait déjà à temps partiel dans l’entreprise familiale alors qu’il était encore étudiant. Il dirige depuis 24 ans l’entreprise nyonnaise Cigarpassion. Parmi eux, le magasin spécialisé La Couronne et, depuis un an, la première La Casa del Habano de Suisse romande.
cigarpassion.ch
Interview réalisée par le magazine Cigar.
Interview : Tobias Hüberli
Photos : Njazi Nivokazi